RECIT décrivant les premiers pas d'un homme
dans l'au-delà
qui
ne croyait pas à la vie
après la
mort
Dans un effort surhumain, René parvint à s'assoir. Il ressentit alors une douleur effroyable dans la poitrine, comme si on lui écrasait les côtes. Son visage bleuit, il se renversa en arrière avec une sorte de hoquet, et ses yeux demeurèrent mi-clos. S'assoir avait représenté pour lui un effort immense qui avait mobilisé tout son souffle. En respirant ainsi de toutes ses forces, son coeur avait fait une véritable course de vitesse, comme un moteur de voiture à l'arrêt dont l'accélérateur est poussé à fond. Son coeur accéléra puis s'arrêta net.
Pendant un moment, il connut une effroyable panique.
Que lui arrivait-il ?
Etait-ce la fin ?
Chacun de ses nerfs était
en feu.
René était en train de passer de vie à trépas.
Il y eut comme un tremblement de terre et tout se mit à tourner. Le monde , pareil à un cyclone tourbillonnant, lui sembla composé de poussières aveuglantes. Il eu la sensation de passer dans un broyeur. La souffrance était intolérable. Soudain, tout s'obscurcit. Il eu l'impression d'être enfermé dans un tuyau froid et glissant dont il essayait de sortir pour se retrouver en sécurité. Tout devint plus noir encore. Mais très loin, là-bas, dans ce qui était sans aucun doute l'extrémité du tuyau, il vit une sorte de lumière.
Il chercha frénétiquement à sortir. Il perçut un bruit curieux semblable à celui du vent. Il resta volontairement immobile et tout à coup, il se sentit poussé jusqu'à l'extrémité du tuble. Il y resta pendant un instant et, brusquement, il entendit un " crac ", et il se trouva projeté hors du tuyau tel un pois chiche hors d'une sarbacane. Il tourna pendant un moment en tous sens et finit par se stabiliser. Il n'entendait ni ne voyait plus rien !
Au comble de l'effroi, il essaya de bouger les bras. Impossible ! Il fut à nouveau pris de panique et il chercha à donner des coups de pieds pour toucher quelque chose. Mais non il n'y avait rien.
Dans un suprême effort, il tenta de poser les mains sur son corps. Il n'avait plus ni mains ni jambes et il ne pouvait plus sentir son corps. Il " existait ", c'était tout.
Soudain, surgit en lui un fragment de quelque chose, un souvenir. Cela concernait un esprit désincarné, un fantôme sans forme, sans consistance, mais existant d'une certaine façon, quelque part. L'idée d'être devenu lui-même un fantôme l'effraya, il se mit à crier mais aucun son ne sortit de sa bouche.
Le temps passa. Combien de temps ? Il l'ignorait. Il savait seulement qu'il était là, au centre du néant. Rien autour de lui, ni corps, ni bras, ni jambes; pourtant, il supposait qu'il devait bien avoir un corps, sinon comment pourrait-il exister ? Il cherchait à voir en forçant sa vision, mais il n'y avait rien à voir. Il ne faisait même pas sombre. C'était le vide. Il se mit à penser à un océan d'espace où il n'y aurait rien.
Il " était " simplement quelque chose, ou même peut-être un rien entouré de néant. Son esprit, sa conscience, était toujours présent en lui mais tournait au ralenti. Il tentait de formuler des idées, essayait de donner naissance à quelque chose.
Il se mit à poussé en avant par une force invisible. Il se déplaçait à une vitesse incroyable sans qu'intervienne sa propre volonté. Soudain René exulta. Il discernait des formes floues autour de lui. Il ignorait ce qu'elles représentaient. Il les apercevait comme à travers un verre fumé. Enfin, il se rendit compte qu'il se trouvait dans une chambre étrange. Il la contempla avec une frayeur croissante.
Dans la chambre il s'immobilisa devant un corps qu'il reconnut avec beaucoup de difficulté comme étant le sien. Le corps nu gisait sur une table, décharné, émacié et dans un triste état. Près de lui il y avait un cercueil de bois.
Deux hommes placèrent le corps dans le cercueil dont ils rabattirent brusquement le couvercle. L'un d'eux serra les vis à l'aide d'un instrument pneumatique. Le cercueil fut hissé sur un chariot et recouvert d'un drap noir roulé de l'atelier d'embaumement à la salle d'exposition et chargé dans un véhicule sombre.
René se sentait attaché à son corps comme par une corde invisible. Tandis que le corbillard avançait, il était irrésistiblement entraîné. Il était maintenu à environ trois mètres au- dessus de sa dépouille mortelle. On sortit le cercueil du corbillard. Il entendit le maître de cérémonie dire :
" Cet homme était athée, il n'aura donc pas de service religieux. Nous allons juste le descendre et le recouvrir ".
Les croque-morts répondirent par un petit signe de tête. Il y eut quelques manoeuvres de cordes, et le cercueil fut descendu en terre. L'un des hommes, infiniment troublé, pensa :
" Pauvre vieux, personne en ce monde pour te regretter ". Un autre dit :
" J'espère que là où il va, il y aura quelqu'un pour l'accueillir ".
Les deux assistants lancèrent des pelletées de terre qui tombèrent sur le cercueil avec un bruit sourd. Ensuite, ils rejoignirent leur voiture et sortirent du cimetière.
René planait au - dessus du cercueil, il voyait son corps rigide et blême. Impuissant, regardant vers le bas, il pensa :
" Ainsi, c'est la fin de ma vie. Que vais-je devenir maintenant ?
Où vais-je aller ? J'ai toujours cru qu'il n'y avait rien après la mort; mais je suis mort, et mon corps est là, et moi je suis ici. Alors que suis-je et où suis-je ? "
A ce moment là, il y eu un son semblable à celui du vent jouant sur les lignes du téléphone et René se trouva projeté à toute vitesse dans le néant. Devant lui il n'y avait rien, derrière lui il n'y avait rien, et non plus sur les côtés. Il allait, il allait toujours dans le néant. Le silence, rien que le silence. Pas un seul son. Il écouta mais pas le moindre battement du coeur, pas la moindre respiration. Le silence se faisait oppressant. René se déplaçait avec difficulté, mais se déplaçait-il ? Il n'était plus sûr de rien.
Il essaya de bouger une main, une jambe, un pied; mais non, rien. Il ne percevait plus son corps, mais quel corps ? Il avait l'impression de reposer sur le dos. Il voulut penser, mais comment y parvenir dans un brouillard de néant quand vous avez l'impression que vous n'êtes rien, que vous n'existez même pas ? Pourtant il devait bien exister sinon il ne pourrait pas penser.
Il songea au cercueil descendu dans la terre desséchée par des jours et des jours sans pluie. Il continuait à réfléchir. Il eut soudain une sensation de mouvement. Il regarda et s'aperçut avec étonnement qu'il était encore au dessus de sa tombe. Avec un certain effroi, il découvrit que, sur elle, l'herbe était haute. Combien de temps l'herbe mettait-elle à pousser ? Tout prouvait qu'il devait être enterré depuis plus d'un mois. Puis sa vision se porta sous l'herbe, sous la terre, et il vit les vers s'agitant et creusant et, autour d'eux, de petits scarabées. Sa vue pénétrant plus loin encore, il vit le bois du cercueil, puis sous le couvercle il découvrit l'horrible spectacle de la décomposition.
Il regarda autour de lui; il n'y avait rien à voir, ni lumière ni obscurité, mais seulement le vide absolu dans lequel même la lumière ne pouvait exister et au dessous de lui sa tombe. C'était une sensation terrible. Mais comment pouvait-il éprouver une sensation s'il n'avait pas de corps ? Il était là, essayant en vain de comprendre.
René se mit alors à réfléchir. Il se remémorait avec quelle obstination il avait, durant sa vie terrestre, refusé l'existence de DIEU. DIEU existait-Il donc ? Les histoires des curés étaient-elles vraies ?
A cet instant, il lui sembla entendre une voix douce qui lui disait :
" Vous devez croire, croire au Seigneur, Le Maître des Mondes. C'est ainsi que vous serez aidé, que vous sortirez de cette obscurité dont vous êtes le seul responsable car au-delà de vous il y a la Lumière, lasissez-là entrer en vous ".
René restait sans réaction. Quelques vagues pensées flottaient en lui sans qu'il puissent en fixer aucune. Il se souvint d'une phrase souvent entendue lorsqu'il était enfant :
" L'Eternel est mon Berger...Il me guide ".
Cette phrase devint de plus en plus poignante en lui. Il se mit alors à prier de toutes les forces de son âme chancelante :
" Seigneur, Seigneur, j'aimerais que tu me guides ".
Au même instant, il ressentit la présence de personnes. Au comble de la détresse, il les appela et les supplia de l'aider. Il commençait à redécouvrir la présence de son propre corps. Il arrivait enfin à le toucher. Il entendit ces mots :
" Vous devez croire, vous devez ouvrir votre esprit afin qu'il nous soit permis de vous aider "
Son âme s'ouvrit largement, il sentit des larmes rouler sur ses joues et tomba à genoux en s'écriant humblement :
" O! mon Dieu, aidez-moi !"
Dans la vibration du mot DIEU, une éblouissante lumière enveloppa René.
Il éprouva une crainte respectueuse et fut pris d'une grande agitation intérieure.
Lentement, il commençait à s'habituer à cette lumière emplie d'amour. Il voyait enfin un paysage et quelques personnes qui l'entouraient délicatement. L'une d'elles s'approcha de lui et lui saisit la main, puis les autres firent de même.
René ferma les paupières , puis les rouvrit, étonné de voir enfin des êtres humains. Il les entendait. Quelle scène merveilleuse ! A quelques mètres derrière eux il y avait un groupe d'arbre plantés sur un sol couvert d'une jolie herbe verte parsemée de pâquerettes. Il n'en croyait pas ses yeux. Plus loin encore, il vit des adultes et des enfants jouant près d'un lac. Il était fasciné par ce qu'il découvrait.
Au dessus de lui, le ciel était immensément bleu avec ça et là quelques petits nuages d'une exquise blancheur. La température était douce et chaude comme celle d'un mois d'été.
L'une des personnes se présenta à René et l'engagea à la suivre en direction d'une merveilleuse construction. Il était tout à fait curieux et inquiet en découvrant l'endroit où il était conduit. Son guide lui dit :
" Vous êtes un homme athée mais bon. Vous ne croyez pas en DIEU, vous ne croyez pas en une vie après la mort. Ici, dans cette école spirituelle, vous allez apprendre ".
René entra dans l'édifice et la porte se referma sur son nouvel apprentissage.